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samedi 18 avril 2009

Marc Perrin - présentation




Le pâté aux pommes de terre, qu’est-ce ? — Marc se lève. La chaise en bois est patinée comme la table. Il fait trois pas, il ouvre le placard bas sous l’évier et en sort un filet de pommes de terre. Sur l’égouttoir, il attrape un économe ou un couteau d’officine. Il a les cheveux mi-courts, bruns, il a quarante ans et mesure un mètre soixante quinze, traits classiques, barbe de quelques jours où perce le gris, le corps fin sans être maigre, attentif, svelte (2009). Il porte un jean bleu coupe droite et un pull très simple. Il est assis de retour, à table, explique : le pâté aux pommes de terre ? — une recette de sa grand-mère. De l’une de ses deux grand-mères, précision, l’autre ayant fait de la recette une variante de tartiflette. Marc a choisi. Sa grand-mère, la sienne. Sa vie passée en Auvergne. Paysanne. Cheveux noirs. Son Auvergne. Clermont. Marc a les cheveux noirs. Jeune barbe, qui dessine un bouc, visage fin. Marc aurait le regard corbeau, mais — de là, voir Beckett en photo, ou les pièces empaillées au salon de Norman Bates ; de là, ne pas les voir, pareil. D’Auvergne, vient le pâté aux pommes de terre. Celles-ci sont épluchées et coupées en lamelles, réservées trois quarts d’heure dans un saladier avec de grandes poignées de sel, le temps qu’elles dégorgent. Marc fait la pâte brisée, à côté : deux boules étalées sur le couvercle de la gazinière avec une bouteille vide, l’une pour garnir le fond du plat, les pommes de terres rincées disposées dessus, l’autre pour fermer la préparation — enfournée trois quarts d’heure. Un regard de corbeau, pas vraiment : un corbeau rassuré, un corbeau qui n’est pas corbeau, Marc — un regard de corbeau indécis vis-à-vis du corbeau — un dessin effacé à la gomme dont la feuille resterait marquée : dessin de corbeau effacé avant d’être une surface blanche. D’abord une attaque, après, le retrait d’une attaque. Ce plat de sa grand-mère d’Auvergne, préparé tranquillement, en une heure et demie. Pommes de terre, pâte brisée, une paysanne, rien de trop. Ce regard de Marc : totem corbeau plus effacement du totem ; effacement qui est le totem lui-même — et sa généalogie : Beckett. Minuit. Une heure et demie à agiter ces noms, et d’autres en buvant du vin, avant que le plat ne soit prêt. Verre après verre, corbeau. Minuit. Cigarettes, disques (Björk). À l’heure prévue, Marc sort le plat du four, perce au couteau la croûte supérieure et y verse lentement deux briques de crème liquide. Le plat repose encore dix minutes avant d’être servi. Il a le goût des pommes de terre, et seulement ce goût-là, simple, relevé par la crème : goût rare, finalement délicat, masqué le plus souvent sous les sauces, lards et fromages. Le pâté aux pommes de terre. Plat de paysanne, ainsi. D’Auvergne. Du Léon, du Japon, effacé — rien en trop. Mais de ça je ne peux me passer. C’est dit calmement. Marc pointe un objet sur la table.



Frédéric Laé



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